crédit photo : Emilien Urbach
Ce soir, je montre aux copains les images que j’ai faites aujourd’hui de la manif à Bil’in. Nous y étions, Siham, Marina, Carst et moi. Nous y étions et le reste du groupe n’y été pas. Leurs émotions furent sans doute plus artistiques. Eux, nous ont montré les images d’un « work shop » que les gens d’El Harah avaient demandé à Lisie de diriger.
El Harah, c’est une troupe de théâtre de Beit Jala. Des amis. La troupe s’est constituée quelques mois après la création de « Gilgamesh, le tyran qui ne voulait pas mourir », en 2004. Des amis de longue date. Ça me fait plaisir de voir que nous continuons d’échanger, de nous rencontrer, de nous serrer dans les bras, de compter les uns sur les autres pour de petites choses, pour une discussion, un atelier, une bonnette de micro. Ça me fait plaisir, mais cet après-midi je n’étais pas des leurs. J’étais à Bil’in, parmi les gaz et les blessés.
Hier, non plus, je n’étais pas là lorsque les copains ont rencontré les anciens du camp. Les vieux de 1948. J’étais à Ramallah avec Siham et Marina pour rencontrer Mahmoud de la Fondation El Qatan. Loupés les vieux. Les copains m’ont fait écouter leurs témoignages : Ils sont cinq et préfèrent dire les souvenirs ridés de leur vie avant, plutôt que de raconter - blessure encore lisible dans leur regard bleu pastel brulé par la cataracte - le camp de réfugiés.
Finalement, je me demande si j’y étais il y a dix huit ans. Il y a dix ans, il y a huit ans. Sept ans, cinq ans, l’an dernier. Ici.
Sur la vidéo les jeunes danseurs d’El Harah donnent sans compter. Ils jouent de leur corps avec un plaisir vrai, quelque chose qui pourrait s’apparenter à l’enfance. A Bil’in certaines des grenades tirées par l’armée ont une odeur qui fait vomir, quelque chose qui s’apparente à la mort. Ici, c’est comme ça. Chaque fois. En attendant Siham à l’aéroport la semaine dernière ; elle est restée bloquer deux heures par la sécurité intérieure de l’aéroport à être questionner par rapport à ses origines, les prénoms arabes de ses père, grand-père et arrière grand-père ; je me suis planté dans l’échoppe à journaux. Je le fais souvent en France quand il m’arrive d’attendre quelqu’un à la gare. Je cherche parmi les journaux, tous en hébreux, un canard en français. Je tombe sur « Israël magazine », une revue à destination des israéliens francophones ou de la diaspora juive en France. Un article dit que les enfants palestiniens sont constamment confrontés à de la propagande antisémite. Que tout y participe, l’école, les chants dans les centres de loisirs, le théâtre, la danse, la littérature. C’est incroyable qu’autant de personnes avalent de telles balivernes. Qu’un journaliste peu scrupuleux écrive sans savoir, nous y sommes habitués. Mais qu’une population, dont sont issus tant d’artistes et d’intellectuels primordiaux dans l’histoire contemporaine, se laisse berner par de telles analyses, ça me trou le c… Qu’on me coupe l’oreille, me crève les yeux ou tout ce que vous voudrez si quelqu’un observe de la haine dans les entrainements dansés que les copains ont filmé cet après-midi, du fanatisme dans le regard craquelé des vieux rencontrés hier, de l’inhumanité dans les jets de pierres des adolescents de Bil’in. A moins que je ne sache plus quel est le sens des mots : générosité, indignation, colère.
Les copains écrivent, travaillent. Ils sont ici et moi aussi. Ça va. Mais, Il y a une chose qui me manque. Je n’arrive pas à me la formuler. Chaque fois que j’essaie je tombe à côté. Je ne crois pas que ce soit bien grave mais ça agit sur ma façon d’être ici. Cette chose qui manque doit se trouver dans un interstice entre désir et enthousiasme, une sorte de bémol…
Je cherche :
Le décalage horaire ; ok.
La porte de Damas, le souk dans le quartier arabe ; ok.
Les soldats, les colonies, les amis rencontrés ; ok.
Les tags sur les murs, en arabe, en anglais ; ok.
Les dessins de clefs, les cafetières thermos en métal, le café turcs épicés ; ok.
Le thé à la sauge, les moutons à poils longs ; ok.
Les oliviers centenaires, les pierres grises, les chats, les chiens, les enfants, le voile, le keffieh ; ok.
Les taxis jaunes, les tasses toute-petites, les sacs en plastique noir, les cheveux gominés des jeunes hommes, les sourires édentés ; ok.
Les affiches de martyrs, le son des minarets, les bigophones du marché, la voix du collecteur de vieilles choses ; ok.
Les hommes qui se tiennent par la main ; ok.
Les poussettes qui servent à tout, les femmes qui vendent accroupies ; ok.
Les robinets sans pression, les bidons noirs sur les toits, les dalles de pierre qui couvrent les façades, la musique synthétisée ; ok.
Les bibelots des rétroviseurs, les chapelets, Le mur, les tentes, les armes, les vieux drapeaux ; ok.
Les narguilés sucrés, les cigarettes vendues à l’unité, le barbier, l’uniforme scolaire, les légumes, gros ; ok.
Les bennes à ordures brulées, les canalisations bouchées…
Bon.
Je suis ici ! Et les copains aussi. Ensemble.
La question ? Ecrire, créer une pièce de théâtre, bientôt mais pas trop.
Je suis ici et j’en suis là.
Je me dis que ça va être long de tout réécouter. Depuis dix ans, tout regarder, se souvenir de tout. Merde. Sans râler, sans pleurer, en cherchant le point de vue décalé…
Je suis ici et j’en suis là. Dans les interstices du désir, au seuil de l’enthousiasme.Emilien Urbach
22/04/2011
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