Vous vous trouvez sur le blog tenu par la Compagnie Sîn lors de son séjour en Palestine au mois d'avril 2011. Depuis près de dix ans les artistes de Sîn sillonnent ce territoire pour façonner des échanges culturels et de nouvelles propositions artistiques.
L'an dernier vous avez pu les suivre sur le blog "outwallin".
Le projet a avancé et un spectacle dédié à l'espace public est en cours d'écriture.
Huit personnes participent à ce nouveau séjour.
Leurs objectifs : Regarder, Ecouter, Enregistrer, Collecter, Ecrire et proposer des ateliers de pratiques artistiques au Centre culturel Al Rowwad, dans le camp de réfugiés d'Aïda.
Ce blog est là pour vous permettre de suivre la Compagnie Sîn, jour après jour, pendant cette nouvelle pérégrination palestinienne.

Le sourire d’Ali

crédit photo : Carst
Mercredi 20 avril  7h30
J’fume ma clope en attendant le gars qui ramasse les poubelles avec sa carriole sur laquelle il accroche à peu près tout sauf les palettes. C’est une carriole à trois roues dont une roue folle à l’avant avec 2 futs de 200 litres en plastique bleu  et des crochets tout autour. Bon, le matin elle est encore un peu vide, mais c’est juste pour le contact, et puis, très vite elle se remplit.
Lundi 25 avril  7h30                                                                                                                         
Tous les matins à 7h et demie  j’ai rendez-vous avec lui, un rendez-vous tacite qu’il attend aussi je crois (apprivoise moi…). C’est toujours lui qui en 1er me salue, de loin, du bout de la rue. Je crois qu’il me guette aussi. Ensuite on se serre la louche, il ôte son gant, en sort une main large comme du bon pain qu’il me tend pour une pognée franche et vigoureuse. Ce matin pour la 1ere fois je lui ai parlé (en dehors du rituel « Salam  aleikum ? Aleikum Salam ! » quasi automatique ) pour lui demander son nom   « What’s yo name ? Ali !  What’s yo name ? My name is Carst. » Il a rit. Puis j’ai essayé de lui dire en arabic inglese sauce carstique ( c.a.d.  à grand renforts  de bras et de mains) qu’il était une sorte de magicien, qu’après son passage tout est propre et net. Il m’a dit merci. « Choukran. » Il est poli Ali  
Au camp d’Aïda, Ali c’est un peu notre fée du logis, sans lui les rues seraient jonchées de détritus, et très vite on croulerait sous les ordures. Ali est édenté comme moi, sauf que lui n’a pas de dentier du tout et pourtant il sourit d’un large sourire, qui me réjouit,  un sourire franc et massif qui illumine son visage. « Choucran Ali . Choucran.
Mardi  26 avril  8h10
Ce matin, j’avais décidé de suivre Ali, de l’accompagner pour voir la carriole se remplir, voir où il va la vider,  tchopper des images de la carriole bien pleine. A 7h30 je suis a mon poste sur le pas de la porte, j’entends le bruit de la carriole qui s’approche, me prépare, éteins  ma clope ( depuis  vendredi je n’ai plus de tabac à rouler et suis passé à la Jamal, la gauloise palestinienne). J’aimerai bien le prendre en photo au moment où il me salue du bout de  la rue ( j’ai déjà une photo mais elle est vraiment floue, chui pas vraiment accro à la qualité de mes photos qui sont juste une trace, un repère,  un élément de narration, mais quand même). J’entends le bruit caractéristique de la carriole qui se rapproche donc et m’apprête à voir apparaître Ali, c’est bien la carriole mais ce n’est pas Ali qui la pousse, je suis déçu. « Salam  aleikum ? Aleikum Salam ! Je fais quand même une photo ou deux de l’autre gars, mais le cœur n’y est pas. C’est là que ça devient drôle, pendant que je shoote l’autre poubellier j’entends une carriole qui déboule derrière moi. Ali ! On se secoue la pogne vigoureusement, lui aussi est content de me voir. Et puis voila que, cerise sur le gâteau, Mohamed déboule, il dépose sa poubelle au passage, nous salue et va bosser, il est à la bourre. avant qu’il parte je lui demande d’expliquer à Ali que je l’appelle le magicien de ma rue et pourquoi, ils rient. Mohamed c’est un peu mon alter ego au camp d’Aïda, son local c’est la caverne d’Ali Baba version électronique, il te répare n’importe quoi qui soit électrique ou électronique te leur fait une seconde vie quand tu crois que c’est juste bon pour la benne d’Ali. Lui aussi c’est du bon pain. La première fois qu’on s’est vu, on s’est parlé ( il parle très bien anglais )comme si on se connaissait depuis toujours, d’ailleurs on se connait depuis toujours. On est fait du même bois, les pêcheurs cueilleurs se reconnaissent entre eux, on a pas besoin de passeports biométriques pour s’identifier. Mohamed parti, je demande en moulinets de bras (notre jargon commun) à Ali si je peux le suivre, pour voir jusqu’où il peut charger la mule et où il la vide sa carriole trop pleine. Je ne suis pas sûr qu’il ait tout compris, ni que ça lui convienne, mais il dit oui, ok, ok. Il est gentil Ali. Arrivé au bout de la rue, il me salue, je continue de le suivre mais il paraît contrarié, ou gêné, son visage se ferme, je commence à être encombrant, un encombrant dont il ne sait pas trop quoi faire, lui qui sait si bien gérer ces  trucs-là. J’ai beau me tenir à l’écart, essayer de me faire oublier, je dérange. Je décide de lâcher l’affaire et le lui dit, il semble soulagé, son sourire revient, chaleureuse poignée de mains. Ali n’est pas fâché. Tant pis je ne saurai pas ce qui se passe après, ni où finissent ces déchets.
Le soir même, je narre ma mésaventure matutinale à Mohamed qui me donne le fin mot de l’histoire et m’emmène à l’endroit où sont vidées les carrioles. Tout au bout de ma rue, contre le mur (comment quoi ? quel mur ? Bin ! Le mur ! Ze mur ! Die mauer !), dans des containers posés en vrac sont déposées toutes les ordures du camp. En chemin il m’explique, qu’en fait Ali a fort à faire en peu de temps pour cleaner tout ça, peu de temps avant que le camp ne soit réveillé, que les rues grouillent d’enfants. Peu de temps pour que la magie opère. Choukran Ali.
Jeudi 28 avril
Ce matin, j’arrive à m’extraire du lit assez tard, juste le temps de faire mon thé et mes ablutions matutinales avant mon petit rencart quotidien. Assis sur mon pas de porte, j’fume la dernière Jamal toute ratatinée qui me reste. Quand Ali déboule : Comment ça va ? Ça va bien, et toi ? Super…Ali s’arrête, enlève ses gant, me demande un clope, « First time », je me lève pour voir si y a pas un paquet de gauloises ou autre qui traine, mais pas de bol, pas la moindre clope à l’horizon, j’essaie de lui expliquer que je me suis fait taper la moitié des clopes de mon paquet hier soir (dans le groupe y’a bon nombre de fumeurs mais peu de clopes en stock, et le soir ça y va. Tu parles s’il comprend rien à mes gesticulations, il sourit, de tout façon la clope il s’en fout, c’était juste un prétexte pour faire un brin de causette avec moi. Il retourne balayer. Bonne journée Ali.
Vendredi 29 avril
Ce matin chui à mon poste, avec ma tasse de thé, mes clopes ( un paquet plein ) je suis paré, j’attends Ali. 7h et demie personne, 8h aucun bruit de carriole, 8h et demie toujours rien, j’ai attendu, attendu, attendu, il n’est jamais venu, lai, lai, lai, lai. Lai, lai, lai, lai. Normal on est vendredi. Lai, lai, lai, lai, au revoir Ali.
Carst


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