Nice Francfort
Assise sur mon siège numéro 25 D, j'observe avec attention le long couloir qui sépare les deux allées de mon coucou dans lequel je me trouve. Il s'éloigne jusqu'à disparaître atteignant la cabine du pilote. Nous voyageons avec la companie Lufthanza. Je reconnais alors la langue que j'étudiais il fût un temps au lycée bristol. C'est drôle je n'ai jamais accroché à cette langue. Pendant les heures de cours je passais mon temps à rêvasser, à dessiner , ou à penser à mon prochain cours de théâtre avec Emilien Urbach et Caroline Fay. Dans l'avion se trouve Marina et Carst. Ils sont devant moi. Marina a les yeux écarquillés comme une enfant . Elle gigote et regarde par le hublot et contemple notre ascension.
Pour Marina c'est sa première fois là-bas.
En face de moi se tient un homme debout, le steward, j'imagine son nom : Wolf.
Il exécute mécaniquement la procédure de secours en cas d'accident. Il n'a aucune expression. Il sait que personne ne le regarde. Il s'en fout. Il est blasé. Tous les regards sont soit dans les livres, les journaux ou bien le magazine Lufthanza.
Il s'enveloppe alors du gilet de sauvetage et de son masque à oxygène. Il doit le faire. Je détecte alors une moue qui se dessine et s'allonge vers son menton. Il ponctue alors sa danse avec une simple vérification des ceintures de sécurités.
Francfort Tel Aviv.
Cette fois ci, c'est un gros coucou ! Nous sommes assis à côté cette fois. Nous nous battons corps et âme avec l'écran devant nous, pour pouvoir regarder un long métrage. Nos index s'excitent alors sur l'écran tactile et il ne répond pas. Il y a un problème avec la diffusion des films.
Tout à coup je regarde devant moi et là je crie « Marina », il y' a monsieur Sussman ! C'est mon gynécologue ! Quelques heures avant je disais à Carst et Marina que j'essayais de faire un bébé et que j'avais vu mon gynécologue quelques semaines auparavant. Oui ! Sussman, tiens c'est drôle pour un gynécologue...
Il me regarde et surpris me salue. Je le salue en retour ...
Je lui demande : Vous partez en vacances ?
Il me répond qu'il va voir ses deux filles en Israël et qu'il va fêter la Pâque juive.
J'appréhende la question fatidique.
Et vous Mademoiselle Pirdas que venez-vous faire en Israël ? dit-il d'un ton professionnel et séduisant. J'ai comme l'impression de me voir dans son cabinet de gynécologie me confessant, les pieds dans les étriers.
J'imagine aussi le soldat à la douane.
Je ne lui réponds pas. Je suis confuse. Je ne connais pas sa réaction et en plus je me trouve dans un avion bourré d'Israéliens en direction de Tel Aviv.
Je mens.
Je lui réponds : Je travaille avec des artistes sur Tel Aviv et Jérusalem.
Je lui dis que cela fait plusieurs fois que je voyage ici et que je m'imprègne de l'histoire de Jérusalem.
Il a l'air content et me demande si je travaille avec des peintres. Je m'enfonce un peu plus en rajoutant que je travaille avec des comédiens de Jérusalem. Je ne précise rien. Il me répond vous allez voir c'est un pays très agréable, très confortable ... et vous me raconterez tout cela en rentrant.
Je n'avais pas envie de dire où j'allais. La dernière fois, lorsque j'étais chez le dentiste, Geneviève une amie qui est assistante dentaire m'a demandé à la fin de la consultation: "Alors tu pars quand en Palestine ???"
Le dentiste lève les yeux de l'ordonnance et dit : La Palestine mais ça se trouve où ?
Ma tête fait alors un demi-tour sec à droite vers mon amie. Je pense : Non Geneviève grave erreur ! Je viens de voir plusieurs magazines de France Israël dans sa salle d'attente et je pense que le sujet est brûlant.
Elle ne l'a pas fait exprès. C'est alors que commence un dialogue de sourd. Nous entamons tous les deux une discussion passionnée, où l'émotion nous dépasse. Il voudrait un état palestinien mais ne supporte pas que les gens se fassent exploser. Il voudrait que les palestiniens se soulèvent et se révoltent contre les auteurs des attentats suicides. Je l'écoute, j'essaie de discuter et de dialoguer, de lui parler des actions, des associations Palestiniennes, des artistes Palestiniens, des Refuzniks qui se battent contre l'occupation. Mais je décide d'arrêter la conversation. Il est blessé ... Nous nous quittons bon amis mais déstabilisés. Cette situation déstabilise. Il y a des choses dont on ne peut pas parler. C'est trop tôt ... C'est trop tard ... Il y' a un traumatisme du côté Palestinien. Il y' a un traumatisme du côté Israélien. C'est trop chaud. Il n'y a pas de recul. On est dedans ici et là. C'est compliqué. Je sors alors du cabinet le ventre noué mais mes dents sont soignées.
C'est pour cela qu'avec Monsieur Sussman, mon cher gynécologue, j'ai préféré me taire ...
30 minutes avant l'atterrissage de l'avion, je décide d'aller aux toilettes. Je me retrouve devant la porte fermée. L'hôtesse de l'air me précise fermement que le gouvernement Israélien interdit d'aller aux WC 30 minutes avant l'atterrissage sur Tel Aviv. C'est pour leur sécurité. C'est absurde et drôle ... Je retourne m'asseoir, punie...
Je suis ici au camp d’Aïda. Je n'ai pas dormi car nous avons voyagé de nuit. Je viens de serrer Abdel Fattah Abou Srour dans mes bras ... Ça me fait du bien de le revoir ... Nous dînons avec lui ce soir ...
Emilien et Lisie ont commencé leur atelier cet après-midi avec les enfants du camp. Frédéric et moi nous nous retrouvons tous les deux. Je suis super contente de le voir parmi nous.
Mardi 19 avril :
Hier soir nous sommes allés au centre d'Alrowwad et nous avons rencontré une chorale belge.
Ils ont chanté Bella Ciao. C'était drôle car ils sont maladroits. Les notes ne sont pas compatibles les unes avec les autres, mais ils sont très touchants. La chorale se déplace à différent check-points et chante devant les soldats. Les soldats ... Que peuvent-t ‘ils faire ? Ils ne peuvent pas tirer sur du son. C'est là la force du son et des mélodies.
Le fil de l'eau et du temps.
Ce matin en me levant titubant de sommeil et des effets de l'alcool, j'observe Emilien qui attend que le fil de l'eau s'épaississe dans sa casserole pour faire le café.
Il n'y a plus d'eau. Carst ce matin est allé remplir des bouteilles en plastique. Nous sommes dans un camp de réfugiés et notre première nécessité est de se laver et de boire...
Emilie Pirdas
17/04/2011
Crédit photo : Nariman Roomi (Nariman participe à l'atelier photo organisé à Aïda Camp par Sîn en ce moment, elle à 16 ans)
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