Vous vous trouvez sur le blog tenu par la Compagnie Sîn lors de son séjour en Palestine au mois d'avril 2011. Depuis près de dix ans les artistes de Sîn sillonnent ce territoire pour façonner des échanges culturels et de nouvelles propositions artistiques.
L'an dernier vous avez pu les suivre sur le blog "outwallin".
Le projet a avancé et un spectacle dédié à l'espace public est en cours d'écriture.
Huit personnes participent à ce nouveau séjour.
Leurs objectifs : Regarder, Ecouter, Enregistrer, Collecter, Ecrire et proposer des ateliers de pratiques artistiques au Centre culturel Al Rowwad, dans le camp de réfugiés d'Aïda.
Ce blog est là pour vous permettre de suivre la Compagnie Sîn, jour après jour, pendant cette nouvelle pérégrination palestinienne.

6 balles.

Crédit photo : Olivier Baudoin



Mardi 12 avril j’ai rencontré les six ados avec lesquels je vais organiser des ateliers de photographie.

Ils ont des appareils dentaire, braillent au lieu de parler, ou bien restent dans un coin les bras croisés. Ils ont des boutons sur la figure. Les mecs ont des coiffures à la « Justin Bieber ». Les filles ne sont pas voilées et rient avec une stridence dont seule cette classe d’âge a le secret.

Ils sont là pour faire de la photo, ils aiment ça. Ils sont enthousiastes, me demandent des conseils, je leur explique en montrant. Ils parlent Arabe. On va se prendre en photo devant leurs maisons, devant les fresques qui représentent les villages détruits de leurs grands-parents.

La différence avec nos ados ? Un européen peut aller de Bethléem à Jérusalem (5 kms) sans encombres.
Impossible d’avoir un laisser-passer pour passer le cheik-point. Ils sont du Camp d’Aïda, ils sont considérés comme des terroristes potentiels. J’ai en face de moi des terroristes en devenir.

Même pas peur !

Murad et Amira s’occupent d’eux. Ils sont jeunes adultes et s’investissent dans leur mission. J’étais comme eux au même âge. A Pasteur à Nice, je passais mon DEFA et je m’occupais de jeunes ados Arabes.

Murad est « beau gosse », il frime un peu, drague un peu Amira. C’est un mec cool et franc.
Je dois faire son portrait pour Sïn. C’est mon binôme Palestinien. Il parle anglais pas trop mal et moi trop mal. Mais on arrive quand-même à communiquer. Hier j’ai mal compris ce qu’il m’a dit et je lui ai posé un lapin. Il va falloir que je fasse des progrès en Ingliche.

Amira est belle, elle n’est pas voilée, elle est joyeuse et enthousiaste.
Elle aime poser, ça tombe bien Murad aime prendre des photos. Elle parle très bien Anglais, elle sert souvent d’interprète, comme en plus elle connait un peu le Français, c’est parfait.

Je sais que je suis Français et différent. On attend de moi que je change des habitudes. C’est un vrai plaisir. Je suis Prophète hors de mon pays. C’est implicite mais tellement évident. A Alrowwad (c’est le centre qui nous accueille), ils ont l’habitude de recevoir des internationaux.

Ça devrait être obligatoire de recevoir des étrangers en France. Mais j’ai l’impression que cette idée ne va pas dans le sens de la politique actuelle.

J’imagine un cours de danse dans une MJC en France avec des danseuses professionnelles Arabes et voilées en train de regarder de jeunes danseurs Français, dans le but d’organiser des ateliers de danse (c’est ce que l’on est en train de faire dans l’autre sens). Je pense que l’on est trop prétentieux et coincés pour imaginer un truc pareil. On n’a pas besoin de Lois idiotes pour se l’interdire. Mais comme on les promulgue quand même, ce n’est pas demain qu’on va arrêter d’être idiots. On organise des débats sur la Laïcité alors que personne ne le demande, on réveille de vieux sentiments, on joue avec de tristes cordes. Vont-elles un jour être si usées que plus aucun son ne pourra en sortir ?

Je ne peux pas m’empêcher de penser que depuis la fin du 19e siècle on a tiré dessus, jusqu’à atteindre le point culminant d’un concert sordide qui s’est appelé « solution finale ». Et la relation entre cette horreur et celle du camp d’Aïda résonne encore.

Le soir je suis allé avec Lisie voir la projection-hommage du film « les enfants d’Arna » réalisé par Juliano Mer Khamis. Juliano a été exécuté dans sa voiture en présence de sa fille le 4 avril dernier à Jenin. Il était Directeur du « Freedom Theater » au camp de réfugiés de Jenin. Il résistait avec l’art, quand d’autres luttent avec des armes. Les armes sont efficaces elles tuent des années de travail, d’espoir, de rires, de transpiration, de militantisme en quelques secondes.

Les 6 jeunes adultes qui étaient là ce soir étaient beaux. Ils venaient raconter leur aventure avec Juliano, des bribes de vie. Ils avaient des larmes dans les yeux. Ils riaient aussi. Ils ont conscience qu’ils sont en danger de mort, mais ici c’est perpétuel. J’avais l’impression en les voyant que le cœur de Juliano s’était multiplié. Six cœurs devenus plus grands.

Ils étaient bien plus forts que les balles.
Olivier Baudoin
13/04/2011

Crédit photo : Olivier Baudoin

2 commentaires:

Unknown a dit…

Merci, ton texte est vraiment touchant.

MIM a dit…
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