crédit photo : Emilien Urbach
Nous sommes ici, à Ramallah. Nous venons de quitter le rassemblement devant la Moqata (palais présidentiel palestinien) organisé pour demander aux autorités de mettre en place une véritable enquête sur les modalités du meurtre de Juliano, à Jenin. C’est notre quatrième manifestation en deux jours. Hier à midi, nous étions à Bil’in pour la manifestation hebdomadaire contre l’édification du mur. A 16h00, à Ramallah, un rassemblement était organisé à la mémoire du militant italien, Vittorio Arrigoni, assassiné à Gaza. Ce matin, il s’agissait d’une manifestation pour la libération des prisonniers politiques et cet après-midi, nous venions donc soutenir la communauté artistique qui cherche à connaitre les conditions exactes de la mort de Juliano Mer Khamis. Un marathon de causes justes et de moments forts en émotions. Un marathon peu propice à « décaler » notre regard sur la situation ici.
Nous sommes ici pour continuer d’écrire notre prochain spectacle basé sur nos dix années d’expériences palestiniennes. Quand nous sommes partis nous nous sommes fixé comme objectif de trouver un point de vue décalé, moins investi émotionnellement, sur les souffrances du peuple palestinien. Nous voulons ainsi trouver les mots, les images, les formes qui nous permettrons de nous adresser au public le plus large sans que la violence s’érige comme un mur entre ce que nous voulons porter comme témoignages et la capacité du public français à les recevoir. C’est vraiment compliqué. Il y a bien les petites phrases lâchées de ci de là. L’un d’entre nous, hier au Cheik-point de Bethléem, alors que nous nous apprêtions à vivre une stagnation de près d’une heure : « Promis je ne râlerai plus quand l’attente sera trop longue à Carrefour ». Ou encore, lors de notre rencontre avec Iman Aoun du Théâtre Ashtar, lorsque nous lui faisons part de nos difficultés à rencontrer un large public avec nos spectacles liés à la question palestinienne, qui nous dit : « Peut-être il faut titrer la pièce « Israël mon amour » et parler de la Palestine. Comme ça tout le monde vient et hop !! »… Nous nous sommes pourtant fixés plusieurs contraintes. Par exemple, chacun d’entre nous doit ramener deux blagues palestiniennes : Abou Ahmed et Abou Atif font un voyage en Afrique. Ils chassent le gorille. Abou Ahmed vise et blesse un Gorille qui d’un mouvement de la main l’éjecte à quelques mètres de là. Le gorille en colère saisi Abou Atif et le sodomise (à la Brassens). A leur retour à Hébron, Abou Atif s’enferme chez lui. Il ne veut plus parler à personne ; ni à sa femme, ni à ses enfants… Abou Ahmed lui rend visite. Il lui dit qu’il ne dira rien de ce qui s’est passé avec le gorille, que tout ça restera entre eux. Abou Atif ouvre enfin la bouche et lui répond : « Il ne s’agit pas de ça. Il me manque… »
Quand je dis que c’est difficile…
Revenons sur notre rencontre avec Iman Aoun… Quelle belle personne !
Voici quelques extraits de notre discussion à propos de Juliano Mer Khamis, il y a deux jours : « Si la question c’est de savoir si on va continuer, la réponse est définitive. On va continuer. Arrêter ce serait dire bravo aux assassins. Je ne trouve pas les mots en français. Arrêter voudrait dire qu’on accepte. C’est comme ça : Si tu es soldat tu sais que tu peux être tué. Mais beaucoup de gens vont choisir d’être soldat parce qu’ils pensent que c’est bien de défendre leur pays. En ce qui nous concerne, nous croyons dans le théâtre. Nous croyons que nous faisons du bien à notre société. Même si on peut être tué, même si on peut payer très cher, on le fait parce qu’on a la foi dans notre métier, dans notre vision. » A ce moment je lui dis qu’en France, la prise de risque n’est pas de ce niveau. Que le plus souvent la prise de risque se réfléchi par rapport aux subventions, au nombre de fois ou le spectacle va se vendre et à son maintien personnel dans le régime de l’intermittence du spectacle. Elle continue : « Plus qu’une réflexion, c’est une forme d’existence. C’est une lutte pour nous de faire du théâtre (…) Il faut que vous sachiez que de tomber, de mourir, d’être assassiné ça ce fait tout le temps, ici. Beaucoup de gens tombent pour des raisons politiques. Que ce soit un artiste ne change rien. Ça change quelque chose pour nous les artistes. C’est un choc énorme pour nous, mais pas pour les gens en général. » Olivier demande alors si les gens sont blasés. Iman se frotte le dessus de la main gauche avec la droite comme pour dire « Ils s’en contrefichent » et reprend : « Juliano était dans un endroit très tendu, comme un volcan. Beaucoup de gens, dans le camp de réfugiés de Jenin, ne veulent pas du théâtre, de la musique, du chant et de tous les arts. On ne sait pas qui l’a tué. Mais je veux dire : Que ce soit n’importe qui ; soit les gens dans le camp de réfugiés, soit les israéliens de façon indirecte ou bien directement ; ce qui a mené à cet acte - c’est sans doute un palestinien manipulé par un côté ou un autre - cette tension, tout ça… Cet évènement n’aurait pas eu lieu s’il n’y avait pas l’occupation. C’est un effet collatéral. Il faut toujours y penser, ne jamais oublier ça : Les gens ne naissent pas extrémistes, ils le deviennent. C’est un système de causes à effets (…) Il faut toujours entendre sa société si on veut être des artistes en phase. Il faut entendre ce que les gens veulent (…) Il ne faut pas imposer les choses. Il faut engager les processus, c’est ce que je pense. Il y a des artistes qui pensent qu’il faut choquer la société. C’est bien. Mais tout le monde ne peut pas le faire. On ne peut pas choquer des personnes qui ne comprennent pas ce qu’on raconte (…) Je pense que c’est difficile pour elles et que c’est pour ça que certaines commencent à devenir hostiles (…) ». Nous nous sommes revus, très vite, cet après-midi, juste avant qu’elle n’entre dans la Moqata. Elle faisait partie de la délégation d’artiste qui devait rencontrer Mahmoud Abbas.
Les amis de Vittorio et ceux de Juliano avaient les yeux pleins de larmes retenues.
Les gaz de Bil’in aussi faisaient couler l’eau les yeux.
Il n’y a plus d’eau dans notre appartement au camp d’Aïda…
C’est une évidence : il faut inverser l’ordre des choses.
Les gaz de Bil’in aussi faisaient couler l’eau les yeux.
Il n’y a plus d’eau dans notre appartement au camp d’Aïda…
C’est une évidence : il faut inverser l’ordre des choses.
Emilien Urbach
16/04/2011
1 commentaire:
Merci, je suis un peu avec vous. Dans vos yeux.Lily
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