Crédit Photo : Olivier Baudoin
Les vieux, ici, ils ont les rides creusées par la mémoire. Dans chaque sillon, il y a le chemin qu'ils ont parcourus de leur village jusqu'au camp d'Aïda. Dans les yeux bleus cataractes, l'empreinte de leur maison détruite. Et dans leurs mains, on imagine des clefs qui tintent. Les clefs de leur porte d'entrée, de leurs armoires, de leur garde-manger....Ils pensaient revenir.
Sous les semelles de leurs chaussures, ça fait longtemps qu'il n'y a plus la trace de leur terre qui pourtant est partout autour d'eux.
Les vieux, ici, ils ont les mains qui parlent, des mains qui dansent, qui caressent l'air, qui frappent la table, qui ont les index qui se lèvent pour redescendre et aller chercher un brin d'olivier fantôme ailleurs.
Les vieux, ici, il y a en a qui tremblent d'émotion lorsqu'ils parlent de tout ça. De partout ça tremble, les lèvres, les paupières, la voix. Comme une feuille accrochée à son arbre et chahutée par le vent.
Les vieux, ici, ils portent la moustache.
Les vieux ici quand on leur demande comment était le camp au début, ils répondent que d'abord ils vont parler de là où ils viennent, parce que leur vie n'a pas commencée dans le camp. Leur vie elle était plus belle avant le camp.
Alors ils nous parlent d'avant, et nous on écoute.
Ils nous parlent de leurs terres, de leurs maisons. Comment ils vivaient avec les juifs palestiniens, dans les mêmes immeubles, partageaient les mêmes chemins de promenade, comment ils s'invitaient à manger les uns les autres.
Celui qui tremble nous dit :
J'avais un ami juif qui vendait du pain, quand les bateaux ont débarqué et que les palestiniens ont quittés leurs villages parce qu'ils avaient peur – 300 palestiniens avaient été tués- mon ami juif a dit qu'il partait, qu'il n'était pas d'accord avec ça. Il m'a dit je ne peux pas vous emmener avec moi là où je vais mais faisons un voyage ensemble pour nous dire adieux. Nous sommes partis 3 jours..... C'était le meilleur pain que j'ai mangé ».
Un autre nous dit : « A l'époque, si tu mettais 3 palestiniens les uns à côté des autres tu ne pouvais pas dire qui était musulman, qui était juif ou chrétien. »
Il y a un vieux qui est né en 1926, il était conducteur de train. Lorsqu'il parle tout le monde se tait. Il nous dit que nous civils français, américains, anglais on ne comprend rien, ce sont les politiques qui comprennent. Nous on a pas les éléments. « Sans vous vexer ». On est pas vexé. Il est arrivé à 23 ans dans le camp. Quand il est arrivé il n'y avait qu'un chiotte pour 200 familles. Les habitations c'étaient des tentes.
Un autre, avec une canne, nous dit, les doigts sur le bord des yeux, que les autres occupations françaises, anglaises finiraient. Mais pas celle là. Eux ils voulaient la terre. La terre sans personne dessus. Il dit.
Il a entendu une soldate Israélienne lui dire : Vous les palestiniens retournez dans votre pays, je sais pas où c'est, mais allez y. »
Et je pense que les palestiniens ont très envie de retourner dans leur pays et qu'ils savent où il se trouve.
Amira, notre traductrice a découvert au cours de notre entretien deux noms de village qu'elle ne connaissait pas.
Garder la mémoire bien au chaud, ne pas oublier les racines. Celles qui font qu'on reste solidement ancré à la Terre. Un devoir de mémoire. Que se passera t-il lorsque les vieux seront tous morts, qu'ils ne restera que la mémoire de la mémoire de la mémoire de la ….
Lisie Philip
22/04/2011
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