Vous vous trouvez sur le blog tenu par la Compagnie Sîn lors de son séjour en Palestine au mois d'avril 2011. Depuis près de dix ans les artistes de Sîn sillonnent ce territoire pour façonner des échanges culturels et de nouvelles propositions artistiques.
L'an dernier vous avez pu les suivre sur le blog "outwallin".
Le projet a avancé et un spectacle dédié à l'espace public est en cours d'écriture.
Huit personnes participent à ce nouveau séjour.
Leurs objectifs : Regarder, Ecouter, Enregistrer, Collecter, Ecrire et proposer des ateliers de pratiques artistiques au Centre culturel Al Rowwad, dans le camp de réfugiés d'Aïda.
Ce blog est là pour vous permettre de suivre la Compagnie Sîn, jour après jour, pendant cette nouvelle pérégrination palestinienne.

Tout au bord

Crédit photo : Olivier Baudoin



Jeudi 28 Avril, nous partons pour le tombeau de Nabi moussa. C'est ici que Moïse serait enterré. Dans ce désert qu'il aurait erré 40 années durant. Je connais toute ces histoires, je les trouve jolies. J'aime qu'on me raconte des histoires.

Nous faisons un tour rapide, les petites alcôve, la salle de prière modeste, le jardin Mais ce n'est pas ce que je suis venu voir. Tout autour de la mosquée, des tombes par centaines, certaines vieilles de 800 ans, blanches, étendues au pied du désert. Elles attendent, les unes bien serrées aux autres. Il est même difficile de savoir quand une tombe commence et l'autre fini. Je suis précautionneuse, et évite de marcher sur les morts. Non par peur d'être maudite sur 18 générations mais par respect pour ceux qui croient aux histoires. Je marche, je dépasse les tombes, je les laisse derrière moi, je les laisse les corps inertes ensevelis sous la terre aride. Cette terre qui se nourrit des os, des fluides, des chairs. Je les laisse, mais ils m'accompagnent. « Vous étiez là avant moi, je serai là après vous » Une logique implacable, dans l'ordre des choses.

Devant moi l'immensité des reliefs, je vois Jéricho, la mer morte, la Jordanie, le ciel bleu. Tout ça à porté de pupille. J'ai l'impression d'être dans un décors de cinéma, un décors peint comme on en faisait à Hollywood dans les années 50. Un décors de péplum, le kitch en moins.

La beauté du lieu me coupe le souffle. Je ne peux que regarder. Je ne peux que ressentir cette violence folle qui fait que l'on peut parfois tomber amoureux. Ma cage thoracique se resserre. Les poumons font ce qu'ils peuvent pour obéir à leur fonction. Le ventre se colle à la colonne vertébrale, j'ai l'impression qu'ils se fondent l'un à l'autre.

Je suis toute petite.

Le temps n'existe pas. Ma respiration se fait plus ample je reprend place en moi-même.

C'est le matin, il fait chaud mais pas trop.

Je plonge dans les détails, chaque détail. Les cailloux, les rochers qui se désagrège en sable lorsqu'on les touche, des cendres avalées par le vent . Les escargots blancs accrochés en grappe dans les buissons de plantes grasses, moi je savais pas qu'il y avait des escargot dans le désert.

Je touche les feuilles sur ces brindilles sèches, les presse entre les doigts. Elles explosent en une giclée d'eau. Stratégie de survie.

Le lézard blanc qui court et disparaît sur le bord d'une falaise.

Je suis venue danser, Emilien est venu filmer. Inventer de la matière à imagination.
On choisi le lieu, l'endroit. Nous avons envie d'aller là-bas, ce n'est pas si loin, facile d'accès on dirait. On s'approche, la pente tombe sèche, plus on s'approche plus notre endroit s'éloigne. Non ce ne sera pas là. La perspective peut être trompeuse, menteuse. Nous faire envie et nous éloigner de ses charmes en un pas.

Ce sera ailleurs, juste là. Il y a trois rochers, je les prends, ce sont les miens, ce sera chez moi pendant quelques petites heures.

Je m'assois tout au bord de la pente, je suis envahi par le vent. Je ferme les yeux, respire, bouge lentement la tête. Le vent parle; il parle différemment à chaque mouvement. Je suis attentive. Je reçois les caresses, imagine ma peau transparente, m'imagine transpercée de part et d'autre.
Je me déchausse. Les cailloux sont chauds, coupant.
J'appuie mes orteils et mes talons, j'entre dans le sol. J'allonge mon corps, ma respiration devient moteur de mes mouvements. Ma tête s'enracine entre deux nuages.

Les oiseaux passent, piaillent. Ils ont le bout des ailes jaunes. Ils sont deux. Un couple. J'y pense.

Je veux mes mouvements amples, je sculpte mon temps et mon espace. Le vent est ma musique.

Au loin le muezzin, je prends. Je me colle au plus près de la mélodie lointaine.
Je danse. Je laisse aller, je doute, je crois, j'ai peur, j'aime, je vis dans mes muscles, dans mes os. Plaisir du corps, de l'instant.

Un hélicoptère militaire. Tout s'arrête. Tout se suspend. Tout se crispe. Je le regarde. Je pars en direction de la falaise. Tout au bord du vide.

Je reviens, encore une prise. Le soleil est maintenant au zénith, je n'ai pas chaud. Je suis bercé par l'immensité.

Je ne peux m'empêcher de penser que c'est un rêve qui se réalise, danser pieds nus dans le désert.


C'est le dernier texte que j'écris en Palestine pour ce voyage.
Aujourd'hui Samedi 30 avril nous présentons une étape de travail au centre Alrowwad, ce soir une partie de l'équipe s'en va, demain ce sera Siham et lundi la dernière partie de l'équipe dont je suis un morceau.

Je pars encore une fois, j'écrirai peut-être encore en France. Ou peut-être pas.
J'écrirai en corps surement. Un pays qui colle à la peau.
Lisie Philip
30/04/2011

1 commentaire:

Mathias Girard a dit…

Hello Lisie & c°, pas le temps de lire tout ton texte, mais il suffit de savoir que tu es là-bas, en Palestine, avec Sin, Olivier Baudoin et d autres que je ne connais pas, pour saluer ce superbe projet - Mathias Girard, Nice, France