Vous vous trouvez sur le blog tenu par la Compagnie Sîn lors de son séjour en Palestine au mois d'avril 2011. Depuis près de dix ans les artistes de Sîn sillonnent ce territoire pour façonner des échanges culturels et de nouvelles propositions artistiques.
L'an dernier vous avez pu les suivre sur le blog "outwallin".
Le projet a avancé et un spectacle dédié à l'espace public est en cours d'écriture.
Huit personnes participent à ce nouveau séjour.
Leurs objectifs : Regarder, Ecouter, Enregistrer, Collecter, Ecrire et proposer des ateliers de pratiques artistiques au Centre culturel Al Rowwad, dans le camp de réfugiés d'Aïda.
Ce blog est là pour vous permettre de suivre la Compagnie Sîn, jour après jour, pendant cette nouvelle pérégrination palestinienne.

EHCEN– Hébron

Crédit photo : Olivier Baudoin

Hébron, la ville qui marche sur la tête. Au moins deux fois millénaires. Où chaque recoin est une merveille architecturale, La ville coupée en deux de façon horizontale où on marche sur la tête des gens.
Le ciel est grillagé, cela évite de recevoir les poubelles de ceux d'en-haut. Les poubelles, et aussi les pierres, les parpaings. Y'en a plein sur le grillage. Le ciel est sale d'humiliation. En bas c'est le marché.
Les soldats israéliens portent des Zikis chargés et des appareils dentaires. Sont sur une place face à trois vieux qui doivent avoir 250 ans à eux tous. Jouent au Gi Joe avec des armes chargées, le doigt sur la détente. Les yeux à l'affut, qui surveillent. Qui de nous deux baissera le regard, encore un jeu. T'as perdu.

La ville où on se fait happer par des vendeurs à la sauvette qui s'improvisent guide. Nous font visiter un toit d'où on voit la colonie posée sur la ville. C'est le toit que tous les touristes vont visiter. Probablement. Le bébé est dans les bras de sa maman. On nous le montre bien. C'est oppressant. Des drapeaux blancs et bleus partout qui flottent, collés sur les citernes d'eau énormes. Les vendeurs de souvenirs veulent nous vendre encore et encore les mêmes bracelets.

Je suis mal à l'aise j'ai qu'une envie c'est de me casser.

Nous allons au Tombeau des Patriarches. Check point au milieu d'une rue sous voute. La percepective devait être belle, la rue est en pente et file tout droit vers une grande place.
On attend derrière les grillages avant les portiques anti-retours à lumière verte et rouge.

Je bippe. Je bippe à tous les passages. Le bip est aigu, me vrille les oreilles. Mais comme je suis occidentale on me dit de passer. Je passe le deuxième poste de contrôle. On me demande si je suis juive, d'ouvrir mon sac. On me fait passer, l'autre militaire israélien me parle en hébreu, je comprend keffieh. J'en ai un accroché à mon sac. La fille militaire lui dit en hébreu encore un truc, que j'interprète comme fous lui la paix avec son keffieh.

Oui fous moi la paix.

Je me voile pour entrer dans la mosquée. Je fais mes ablutions. Trois fois les mains, trois fois la bouche, une fois le nez, trois fois le visages et derrière les oreilles, trois fois chaque coude, trois fois chaque pied, une seule fois le sexe.

Je suis voilée et je porte une sorte de paletot pour dissimuler au mieux mes formes féminines.

C'est la première fois que j'entre dans un lieu saint musulman. Je vois le tombeau de d'Abraham ou Ibrahim c'est selon. Deux noms pour désigner un seul homme. Les mosaïques sont éblouissantes. Les vitraux, les voutes, j'en prends plein les yeux. Des femmes prient, je regarde le rituel. Je les trouve belles dans leur foi.

Nous sortons.

Je vois la synagogue qui est à côté, pas dessus.

Nous repassons les postes de contrôle.

Nous allons au centre culturel France-Hébron, parlons avec la directrice de son action.
Nous allons manger.

Puis nous repartons vers le point de rendez-vous du taxi retour.

Au détour d'une rue, un homme nous arrête. Venez chez moi, sur mon toit.
Ça recommence encore un qui veut nous montrer son toit, son bébé ou je ne sais quoi. On est septique.
Je vous offre le thé.
On le regarde on le suit. Il nous regarde aussi, il nous sourit. On ne voit que les dents du bas. Il a des yeux qui aiment les gens.

J'aime inviter les gens chez moi. Je leur offre le thé. Ça me fait une ouverture sur le monde. Comme ça il peuvent dire qu'ils ont vu Ehcen qui habite à Hébron et que Ehcen existe.

J'ai un ami français, un international, qui vient régulièrement à Hébron. Il vient dormir chez moi. Mais je ne demande pas d'argent. Ça me fait plaisir de l'inviter. J'aime échanger avec les gens et qu'ils racontent ce qui se passe ici. J'aime pas ces gens, vous savez les jeunes ici qui attrapent les internationaux dans la rue, pour leur vendre des souvenirs et qui insistent. Je ne veux pas que mes enfants soient comme ça. J'ai 5 garçons et 1 fille avec la même épouse. Il sourit. Moi je n'ai pas besoin d'argent, j'ai besoin d'échanger avec vous. J'aime la France, j'aime Madrid. Fou rire général. Mais il parlait de foot et de Lionel Messi qui est un joueur français.

On monte sur sa terrasse sous un toit en tôle, il nous installe sur des chaises et un canapé éventré.
Il est attentif, affairé, légèrement nerveux. Il fait le thé, nous montre la menthe : nana.

Carst lui offre une cigarette arabe il la refuse et c'est lui qui nous offre des cigarettes occidentales.

Il est debout, il fume. Un rayon de soleil vient cinématographiquement se poser sur lui. Il n'estg pas très grand, un peu de ventre, un visage ouvert.

Vous auriez du venir pour Pessah, vous auriez vu comment ça se passe dans la rue. Si deux colons passent, il nous est interdit de sortir de chez nous. Nos commerces sont fermés. Obligatoirement fermés. Nous sommes consignés. Cela peut durer une heure, deux heures ça dépend. Plus, moins.. Mais c'est quand il veulent, Pessah ou pas Pessah.

Ils repart, reviens. Il parle, il repart s'occuper du thé. Siham qui traduit se décompose. Fond en larme. Elle me touche, elle si forte, si pleine de caractère. Sa fragilité est belle. On attend.

Tu sais, j'ai été prisonnier dans une petite pièce pendant 21 jours. Ils m'ont arraché les dents une par une. Les dents du haut. Ils m'ont cassé les genoux, frappé sur le dos. Tous les jours, pendant 21 jours. Ils m'ont arraché les dents... et tabassé.....Il n'y avait qu'un demi pain et de l'eau pour la journée. Je n'arrivai pas à manger. Devant le juge, j'ai été condamné à 5 ans. J'ai été envoyé à Ramallah.

Il nous verse le thé. Je le regarde. Je plonge dans ses yeux. Qu'est ce que j'y cherche ? Je sais pas. Qu'est ce que j'y trouve ? Un sourire.

Son grand fils a les yeux clairs, les cheveux bien coiffé à la mode d'ici.

On demande pourquoi.

« Des soldats tiraient sur des gars, avec d'autres on a lancé des œufs sur eux. Ils les ont reçu en pleine figure. Ils sont venu la nuit, il m'ont pris. »

Ses gamins sont à côté de lui, ils regardent dans le vide et ravalent l'humidité qui trouble leur regard.

On prend notre thé.

Il nous parle de son fils qui a été frappé aussi et dont les photos sont sur internet.

Tu as internet ?
Si j'ai internet ? Mais qu'est-ce-que tu veux que j'ai internet avec la vie que j'ai ! Il le dit en riant.

Il y a sa maman, veille femme avec une canne, elle nous salue de sa voix chevrotante. Elle tremble beaucoup.

Nous devons partir. Ehcen nous accompagne jusqu'au taxi.

On croise une voiture d'une ONG d'observateurs des droits de l'homme.

Les gens ici, ils aiment pas beaucoup les observateurs. Ils ont leurs feuilles, ils notent, ils notent et puis quoi ? Qu'est-ce-qui change ?

On est au point de rendez-vous. Le taxi n'est pas là, on attend. Il ya du vent, Sarah une de nos co locataire a froid. Ehcen la couvre de sa veste. Il veut lui donner. Il donnerait tout cet homme.

Il s'appelle Ehcen, il habite dans une petite rue du vieil-Hébron en Palestine.

Et si vous le croisez, dîtes à tout le monde qu'il existe.
Lisie Philip

1 commentaire:

Anonyme a dit…

un petit bout de vous restera là-bas
lily