Vous vous trouvez sur le blog tenu par la Compagnie Sîn lors de son séjour en Palestine au mois d'avril 2011. Depuis près de dix ans les artistes de Sîn sillonnent ce territoire pour façonner des échanges culturels et de nouvelles propositions artistiques.
L'an dernier vous avez pu les suivre sur le blog "outwallin".
Le projet a avancé et un spectacle dédié à l'espace public est en cours d'écriture.
Huit personnes participent à ce nouveau séjour.
Leurs objectifs : Regarder, Ecouter, Enregistrer, Collecter, Ecrire et proposer des ateliers de pratiques artistiques au Centre culturel Al Rowwad, dans le camp de réfugiés d'Aïda.
Ce blog est là pour vous permettre de suivre la Compagnie Sîn, jour après jour, pendant cette nouvelle pérégrination palestinienne.

ça continue mais plus ici

Dernière phase de recherche en Palestine : Terminée ; jusqu'à la prochaine.
Étrange départ pour la vie ailleurs chargée d'ici... Fatigue, envies, vague à l'âme ; écrire mais pas aujourd'hui. Dans quelques jours des mots encore, des images ? peut-être même en vidéorama ! Dans quelques mois, du corps, du sens, des sons dans la rue rendue au théâtre : "Je suis ici" !
On vous le fera savoir...

Tout au bord

Crédit photo : Olivier Baudoin



Jeudi 28 Avril, nous partons pour le tombeau de Nabi moussa. C'est ici que Moïse serait enterré. Dans ce désert qu'il aurait erré 40 années durant. Je connais toute ces histoires, je les trouve jolies. J'aime qu'on me raconte des histoires.

Nous faisons un tour rapide, les petites alcôve, la salle de prière modeste, le jardin Mais ce n'est pas ce que je suis venu voir. Tout autour de la mosquée, des tombes par centaines, certaines vieilles de 800 ans, blanches, étendues au pied du désert. Elles attendent, les unes bien serrées aux autres. Il est même difficile de savoir quand une tombe commence et l'autre fini. Je suis précautionneuse, et évite de marcher sur les morts. Non par peur d'être maudite sur 18 générations mais par respect pour ceux qui croient aux histoires. Je marche, je dépasse les tombes, je les laisse derrière moi, je les laisse les corps inertes ensevelis sous la terre aride. Cette terre qui se nourrit des os, des fluides, des chairs. Je les laisse, mais ils m'accompagnent. « Vous étiez là avant moi, je serai là après vous » Une logique implacable, dans l'ordre des choses.

Devant moi l'immensité des reliefs, je vois Jéricho, la mer morte, la Jordanie, le ciel bleu. Tout ça à porté de pupille. J'ai l'impression d'être dans un décors de cinéma, un décors peint comme on en faisait à Hollywood dans les années 50. Un décors de péplum, le kitch en moins.

La beauté du lieu me coupe le souffle. Je ne peux que regarder. Je ne peux que ressentir cette violence folle qui fait que l'on peut parfois tomber amoureux. Ma cage thoracique se resserre. Les poumons font ce qu'ils peuvent pour obéir à leur fonction. Le ventre se colle à la colonne vertébrale, j'ai l'impression qu'ils se fondent l'un à l'autre.

Je suis toute petite.

Le temps n'existe pas. Ma respiration se fait plus ample je reprend place en moi-même.

C'est le matin, il fait chaud mais pas trop.

Je plonge dans les détails, chaque détail. Les cailloux, les rochers qui se désagrège en sable lorsqu'on les touche, des cendres avalées par le vent . Les escargots blancs accrochés en grappe dans les buissons de plantes grasses, moi je savais pas qu'il y avait des escargot dans le désert.

Je touche les feuilles sur ces brindilles sèches, les presse entre les doigts. Elles explosent en une giclée d'eau. Stratégie de survie.

Le lézard blanc qui court et disparaît sur le bord d'une falaise.

Je suis venue danser, Emilien est venu filmer. Inventer de la matière à imagination.
On choisi le lieu, l'endroit. Nous avons envie d'aller là-bas, ce n'est pas si loin, facile d'accès on dirait. On s'approche, la pente tombe sèche, plus on s'approche plus notre endroit s'éloigne. Non ce ne sera pas là. La perspective peut être trompeuse, menteuse. Nous faire envie et nous éloigner de ses charmes en un pas.

Ce sera ailleurs, juste là. Il y a trois rochers, je les prends, ce sont les miens, ce sera chez moi pendant quelques petites heures.

Je m'assois tout au bord de la pente, je suis envahi par le vent. Je ferme les yeux, respire, bouge lentement la tête. Le vent parle; il parle différemment à chaque mouvement. Je suis attentive. Je reçois les caresses, imagine ma peau transparente, m'imagine transpercée de part et d'autre.
Je me déchausse. Les cailloux sont chauds, coupant.
J'appuie mes orteils et mes talons, j'entre dans le sol. J'allonge mon corps, ma respiration devient moteur de mes mouvements. Ma tête s'enracine entre deux nuages.

Les oiseaux passent, piaillent. Ils ont le bout des ailes jaunes. Ils sont deux. Un couple. J'y pense.

Je veux mes mouvements amples, je sculpte mon temps et mon espace. Le vent est ma musique.

Au loin le muezzin, je prends. Je me colle au plus près de la mélodie lointaine.
Je danse. Je laisse aller, je doute, je crois, j'ai peur, j'aime, je vis dans mes muscles, dans mes os. Plaisir du corps, de l'instant.

Un hélicoptère militaire. Tout s'arrête. Tout se suspend. Tout se crispe. Je le regarde. Je pars en direction de la falaise. Tout au bord du vide.

Je reviens, encore une prise. Le soleil est maintenant au zénith, je n'ai pas chaud. Je suis bercé par l'immensité.

Je ne peux m'empêcher de penser que c'est un rêve qui se réalise, danser pieds nus dans le désert.


C'est le dernier texte que j'écris en Palestine pour ce voyage.
Aujourd'hui Samedi 30 avril nous présentons une étape de travail au centre Alrowwad, ce soir une partie de l'équipe s'en va, demain ce sera Siham et lundi la dernière partie de l'équipe dont je suis un morceau.

Je pars encore une fois, j'écrirai peut-être encore en France. Ou peut-être pas.
J'écrirai en corps surement. Un pays qui colle à la peau.
Lisie Philip
30/04/2011

Coucou mon amour

Avant- hier, le désert, j’ai pris une énorme claque, le désert m’a pris par les
tripes, m’a retourné comme une crêpe, j ai pleuré comme un môme, grosse, grosse
émotion. On s’était arrêté à la mosquée de Nabi Mossa (ou se trouve le tombeau
de Moise) l’endroit est planté au milieu de l’immensité du désert, des paysages
magnifiques d’une puissance qui impose le respect, chaleur et  luminosité quasi
intenable même pour ceux qui avaient des lunettes de soleil. Quand à moi,
j’avais beau plisser les yeux, je n’y voyais rien. Mais même ça on finit par
 s’adapter. Emilien connaissait déjà l’endroit et nous voila parti à l’assaut de la
montagne pour se retrouver avec la Palestine à nos pieds. Une vue a 360 degrés
avec la mer morte pour horizon. L’irrépressible émotion qui m’engloutit sout par
tous mes pores. Je me laisse emporter ça fait du bien. Depuis le début du voyage
c’est pas les émotions qui manquent. Depuis le début du voyage Sarah est plus
présente que jamais, tu sais à quel point elle est en moi au quotidien, mais la
c’est un séisme. Je me laisse glisser au sol, ça tombe bien je dois ramasser de
la terre du désert pour moi et pour Mandine. Problème y a que des cailloux et du
rocher. Surprise en glissant au sol la roche se dérobe, s’effrite tombe en une
poussière très fine comme du pigment c’est juste une croute saline de surface
qui maintient tout ça. Je creuse avec les mains, c’est facile la roche glisse en
sable entre mes doigts. L’émotion m’envahit à nouveau d’un bloc, je me liquéfie de plus belle, les cendres de Sarah glissent entre mes doigt je me dissout en elles, suffoque, les mains enfoncées dans la roche je m’apaise m’en nourris. Ca va mieux. Je suis bien, j’ veux rester là, plus un mot plus un geste. Au bout d’un temps je me relève doucement. Je vais bien. Voila trois jours que je n’arrive a écrire la moindre ligne là-dessus. Voilà, c’est fait. Merci à toi. Je vous aime.
e-mail de Carst à sa compagne
29/04/2011

Le sourire d’Ali

crédit photo : Carst
Mercredi 20 avril  7h30
J’fume ma clope en attendant le gars qui ramasse les poubelles avec sa carriole sur laquelle il accroche à peu près tout sauf les palettes. C’est une carriole à trois roues dont une roue folle à l’avant avec 2 futs de 200 litres en plastique bleu  et des crochets tout autour. Bon, le matin elle est encore un peu vide, mais c’est juste pour le contact, et puis, très vite elle se remplit.
Lundi 25 avril  7h30                                                                                                                         
Tous les matins à 7h et demie  j’ai rendez-vous avec lui, un rendez-vous tacite qu’il attend aussi je crois (apprivoise moi…). C’est toujours lui qui en 1er me salue, de loin, du bout de la rue. Je crois qu’il me guette aussi. Ensuite on se serre la louche, il ôte son gant, en sort une main large comme du bon pain qu’il me tend pour une pognée franche et vigoureuse. Ce matin pour la 1ere fois je lui ai parlé (en dehors du rituel « Salam  aleikum ? Aleikum Salam ! » quasi automatique ) pour lui demander son nom   « What’s yo name ? Ali !  What’s yo name ? My name is Carst. » Il a rit. Puis j’ai essayé de lui dire en arabic inglese sauce carstique ( c.a.d.  à grand renforts  de bras et de mains) qu’il était une sorte de magicien, qu’après son passage tout est propre et net. Il m’a dit merci. « Choukran. » Il est poli Ali  
Au camp d’Aïda, Ali c’est un peu notre fée du logis, sans lui les rues seraient jonchées de détritus, et très vite on croulerait sous les ordures. Ali est édenté comme moi, sauf que lui n’a pas de dentier du tout et pourtant il sourit d’un large sourire, qui me réjouit,  un sourire franc et massif qui illumine son visage. « Choucran Ali . Choucran.
Mardi  26 avril  8h10
Ce matin, j’avais décidé de suivre Ali, de l’accompagner pour voir la carriole se remplir, voir où il va la vider,  tchopper des images de la carriole bien pleine. A 7h30 je suis a mon poste sur le pas de la porte, j’entends le bruit de la carriole qui s’approche, me prépare, éteins  ma clope ( depuis  vendredi je n’ai plus de tabac à rouler et suis passé à la Jamal, la gauloise palestinienne). J’aimerai bien le prendre en photo au moment où il me salue du bout de  la rue ( j’ai déjà une photo mais elle est vraiment floue, chui pas vraiment accro à la qualité de mes photos qui sont juste une trace, un repère,  un élément de narration, mais quand même). J’entends le bruit caractéristique de la carriole qui se rapproche donc et m’apprête à voir apparaître Ali, c’est bien la carriole mais ce n’est pas Ali qui la pousse, je suis déçu. « Salam  aleikum ? Aleikum Salam ! Je fais quand même une photo ou deux de l’autre gars, mais le cœur n’y est pas. C’est là que ça devient drôle, pendant que je shoote l’autre poubellier j’entends une carriole qui déboule derrière moi. Ali ! On se secoue la pogne vigoureusement, lui aussi est content de me voir. Et puis voila que, cerise sur le gâteau, Mohamed déboule, il dépose sa poubelle au passage, nous salue et va bosser, il est à la bourre. avant qu’il parte je lui demande d’expliquer à Ali que je l’appelle le magicien de ma rue et pourquoi, ils rient. Mohamed c’est un peu mon alter ego au camp d’Aïda, son local c’est la caverne d’Ali Baba version électronique, il te répare n’importe quoi qui soit électrique ou électronique te leur fait une seconde vie quand tu crois que c’est juste bon pour la benne d’Ali. Lui aussi c’est du bon pain. La première fois qu’on s’est vu, on s’est parlé ( il parle très bien anglais )comme si on se connaissait depuis toujours, d’ailleurs on se connait depuis toujours. On est fait du même bois, les pêcheurs cueilleurs se reconnaissent entre eux, on a pas besoin de passeports biométriques pour s’identifier. Mohamed parti, je demande en moulinets de bras (notre jargon commun) à Ali si je peux le suivre, pour voir jusqu’où il peut charger la mule et où il la vide sa carriole trop pleine. Je ne suis pas sûr qu’il ait tout compris, ni que ça lui convienne, mais il dit oui, ok, ok. Il est gentil Ali. Arrivé au bout de la rue, il me salue, je continue de le suivre mais il paraît contrarié, ou gêné, son visage se ferme, je commence à être encombrant, un encombrant dont il ne sait pas trop quoi faire, lui qui sait si bien gérer ces  trucs-là. J’ai beau me tenir à l’écart, essayer de me faire oublier, je dérange. Je décide de lâcher l’affaire et le lui dit, il semble soulagé, son sourire revient, chaleureuse poignée de mains. Ali n’est pas fâché. Tant pis je ne saurai pas ce qui se passe après, ni où finissent ces déchets.
Le soir même, je narre ma mésaventure matutinale à Mohamed qui me donne le fin mot de l’histoire et m’emmène à l’endroit où sont vidées les carrioles. Tout au bout de ma rue, contre le mur (comment quoi ? quel mur ? Bin ! Le mur ! Ze mur ! Die mauer !), dans des containers posés en vrac sont déposées toutes les ordures du camp. En chemin il m’explique, qu’en fait Ali a fort à faire en peu de temps pour cleaner tout ça, peu de temps avant que le camp ne soit réveillé, que les rues grouillent d’enfants. Peu de temps pour que la magie opère. Choukran Ali.
Jeudi 28 avril
Ce matin, j’arrive à m’extraire du lit assez tard, juste le temps de faire mon thé et mes ablutions matutinales avant mon petit rencart quotidien. Assis sur mon pas de porte, j’fume la dernière Jamal toute ratatinée qui me reste. Quand Ali déboule : Comment ça va ? Ça va bien, et toi ? Super…Ali s’arrête, enlève ses gant, me demande un clope, « First time », je me lève pour voir si y a pas un paquet de gauloises ou autre qui traine, mais pas de bol, pas la moindre clope à l’horizon, j’essaie de lui expliquer que je me suis fait taper la moitié des clopes de mon paquet hier soir (dans le groupe y’a bon nombre de fumeurs mais peu de clopes en stock, et le soir ça y va. Tu parles s’il comprend rien à mes gesticulations, il sourit, de tout façon la clope il s’en fout, c’était juste un prétexte pour faire un brin de causette avec moi. Il retourne balayer. Bonne journée Ali.
Vendredi 29 avril
Ce matin chui à mon poste, avec ma tasse de thé, mes clopes ( un paquet plein ) je suis paré, j’attends Ali. 7h et demie personne, 8h aucun bruit de carriole, 8h et demie toujours rien, j’ai attendu, attendu, attendu, il n’est jamais venu, lai, lai, lai, lai. Lai, lai, lai, lai. Normal on est vendredi. Lai, lai, lai, lai, au revoir Ali.
Carst


EHCEN– Hébron

Crédit photo : Olivier Baudoin

Hébron, la ville qui marche sur la tête. Au moins deux fois millénaires. Où chaque recoin est une merveille architecturale, La ville coupée en deux de façon horizontale où on marche sur la tête des gens.
Le ciel est grillagé, cela évite de recevoir les poubelles de ceux d'en-haut. Les poubelles, et aussi les pierres, les parpaings. Y'en a plein sur le grillage. Le ciel est sale d'humiliation. En bas c'est le marché.
Les soldats israéliens portent des Zikis chargés et des appareils dentaires. Sont sur une place face à trois vieux qui doivent avoir 250 ans à eux tous. Jouent au Gi Joe avec des armes chargées, le doigt sur la détente. Les yeux à l'affut, qui surveillent. Qui de nous deux baissera le regard, encore un jeu. T'as perdu.

La ville où on se fait happer par des vendeurs à la sauvette qui s'improvisent guide. Nous font visiter un toit d'où on voit la colonie posée sur la ville. C'est le toit que tous les touristes vont visiter. Probablement. Le bébé est dans les bras de sa maman. On nous le montre bien. C'est oppressant. Des drapeaux blancs et bleus partout qui flottent, collés sur les citernes d'eau énormes. Les vendeurs de souvenirs veulent nous vendre encore et encore les mêmes bracelets.

Je suis mal à l'aise j'ai qu'une envie c'est de me casser.

Nous allons au Tombeau des Patriarches. Check point au milieu d'une rue sous voute. La percepective devait être belle, la rue est en pente et file tout droit vers une grande place.
On attend derrière les grillages avant les portiques anti-retours à lumière verte et rouge.

Je bippe. Je bippe à tous les passages. Le bip est aigu, me vrille les oreilles. Mais comme je suis occidentale on me dit de passer. Je passe le deuxième poste de contrôle. On me demande si je suis juive, d'ouvrir mon sac. On me fait passer, l'autre militaire israélien me parle en hébreu, je comprend keffieh. J'en ai un accroché à mon sac. La fille militaire lui dit en hébreu encore un truc, que j'interprète comme fous lui la paix avec son keffieh.

Oui fous moi la paix.

Je me voile pour entrer dans la mosquée. Je fais mes ablutions. Trois fois les mains, trois fois la bouche, une fois le nez, trois fois le visages et derrière les oreilles, trois fois chaque coude, trois fois chaque pied, une seule fois le sexe.

Je suis voilée et je porte une sorte de paletot pour dissimuler au mieux mes formes féminines.

C'est la première fois que j'entre dans un lieu saint musulman. Je vois le tombeau de d'Abraham ou Ibrahim c'est selon. Deux noms pour désigner un seul homme. Les mosaïques sont éblouissantes. Les vitraux, les voutes, j'en prends plein les yeux. Des femmes prient, je regarde le rituel. Je les trouve belles dans leur foi.

Nous sortons.

Je vois la synagogue qui est à côté, pas dessus.

Nous repassons les postes de contrôle.

Nous allons au centre culturel France-Hébron, parlons avec la directrice de son action.
Nous allons manger.

Puis nous repartons vers le point de rendez-vous du taxi retour.

Au détour d'une rue, un homme nous arrête. Venez chez moi, sur mon toit.
Ça recommence encore un qui veut nous montrer son toit, son bébé ou je ne sais quoi. On est septique.
Je vous offre le thé.
On le regarde on le suit. Il nous regarde aussi, il nous sourit. On ne voit que les dents du bas. Il a des yeux qui aiment les gens.

J'aime inviter les gens chez moi. Je leur offre le thé. Ça me fait une ouverture sur le monde. Comme ça il peuvent dire qu'ils ont vu Ehcen qui habite à Hébron et que Ehcen existe.

J'ai un ami français, un international, qui vient régulièrement à Hébron. Il vient dormir chez moi. Mais je ne demande pas d'argent. Ça me fait plaisir de l'inviter. J'aime échanger avec les gens et qu'ils racontent ce qui se passe ici. J'aime pas ces gens, vous savez les jeunes ici qui attrapent les internationaux dans la rue, pour leur vendre des souvenirs et qui insistent. Je ne veux pas que mes enfants soient comme ça. J'ai 5 garçons et 1 fille avec la même épouse. Il sourit. Moi je n'ai pas besoin d'argent, j'ai besoin d'échanger avec vous. J'aime la France, j'aime Madrid. Fou rire général. Mais il parlait de foot et de Lionel Messi qui est un joueur français.

On monte sur sa terrasse sous un toit en tôle, il nous installe sur des chaises et un canapé éventré.
Il est attentif, affairé, légèrement nerveux. Il fait le thé, nous montre la menthe : nana.

Carst lui offre une cigarette arabe il la refuse et c'est lui qui nous offre des cigarettes occidentales.

Il est debout, il fume. Un rayon de soleil vient cinématographiquement se poser sur lui. Il n'estg pas très grand, un peu de ventre, un visage ouvert.

Vous auriez du venir pour Pessah, vous auriez vu comment ça se passe dans la rue. Si deux colons passent, il nous est interdit de sortir de chez nous. Nos commerces sont fermés. Obligatoirement fermés. Nous sommes consignés. Cela peut durer une heure, deux heures ça dépend. Plus, moins.. Mais c'est quand il veulent, Pessah ou pas Pessah.

Ils repart, reviens. Il parle, il repart s'occuper du thé. Siham qui traduit se décompose. Fond en larme. Elle me touche, elle si forte, si pleine de caractère. Sa fragilité est belle. On attend.

Tu sais, j'ai été prisonnier dans une petite pièce pendant 21 jours. Ils m'ont arraché les dents une par une. Les dents du haut. Ils m'ont cassé les genoux, frappé sur le dos. Tous les jours, pendant 21 jours. Ils m'ont arraché les dents... et tabassé.....Il n'y avait qu'un demi pain et de l'eau pour la journée. Je n'arrivai pas à manger. Devant le juge, j'ai été condamné à 5 ans. J'ai été envoyé à Ramallah.

Il nous verse le thé. Je le regarde. Je plonge dans ses yeux. Qu'est ce que j'y cherche ? Je sais pas. Qu'est ce que j'y trouve ? Un sourire.

Son grand fils a les yeux clairs, les cheveux bien coiffé à la mode d'ici.

On demande pourquoi.

« Des soldats tiraient sur des gars, avec d'autres on a lancé des œufs sur eux. Ils les ont reçu en pleine figure. Ils sont venu la nuit, il m'ont pris. »

Ses gamins sont à côté de lui, ils regardent dans le vide et ravalent l'humidité qui trouble leur regard.

On prend notre thé.

Il nous parle de son fils qui a été frappé aussi et dont les photos sont sur internet.

Tu as internet ?
Si j'ai internet ? Mais qu'est-ce-que tu veux que j'ai internet avec la vie que j'ai ! Il le dit en riant.

Il y a sa maman, veille femme avec une canne, elle nous salue de sa voix chevrotante. Elle tremble beaucoup.

Nous devons partir. Ehcen nous accompagne jusqu'au taxi.

On croise une voiture d'une ONG d'observateurs des droits de l'homme.

Les gens ici, ils aiment pas beaucoup les observateurs. Ils ont leurs feuilles, ils notent, ils notent et puis quoi ? Qu'est-ce-qui change ?

On est au point de rendez-vous. Le taxi n'est pas là, on attend. Il ya du vent, Sarah une de nos co locataire a froid. Ehcen la couvre de sa veste. Il veut lui donner. Il donnerait tout cet homme.

Il s'appelle Ehcen, il habite dans une petite rue du vieil-Hébron en Palestine.

Et si vous le croisez, dîtes à tout le monde qu'il existe.
Lisie Philip

Dans le noir


Rana est aveugle. Elle vit dans le noir. Rana chante. Elle donne des cours à des voyants et elle crée des échanges entre l’école de Masqat et l'école pour aveugles de d'Aleya près du camp d'Aida.
Lundi matin avec Olivier nous sommes allés à l'école des filles de Doha (Masqat) pour un festival. J'ai vu des filles avec leurs voiles blancs sur la tête. Des anges. Des curieuses, des espiègles, des moqueuses ...
J'ai vu des " officieux ", bien alignés sur des chaises, une belle brochette d'agneau, face aux enfants qui chantent et qui dansent.
L'image de la nouvelle star me vient alors à l'esprit.
Je branche mes oreillettes et j''écoute: des chansons, des poèmes, des discours, des jingles, des applaudissements, des cris de joie qui s'élèvent vers le ciel.
Les enfants aveugles et voyants déclament des poèmes au micro. Ceux qui vivent dans le noir baissent le regard quand ils prennent la parole. C'est plein de tendresse et de fragilité.
Il y a un petit, il doit avoir 10 ans. Lorsqu'il intervient, il se fait accompagner par un adulte pour accéder à la scène. Il met alors ses mains sur sa tête et d'un mouvement lent il tourne légèrement la tête à gauche et son oreille caresse le sol.
On dirait qu'il veut se boucher les oreilles. On dirait qu'il a une migraine. On dirait qu'il ne veut plus rien entendre.
Il y en a un autre qui hurle dans le micro. Il transperce les enceintes et nous éclate les oreilles avec sa voix stridente et aigue. C'est comme s'il voulait se faire entendre. 
C'est un crissement de pneu, un coton tige qui fait mal, une friture sur la ligne.
Sur ma droite et derrière moi, des hommes se tiennent assis. Aucun ne porte de lunettes. Ils sont seuls, dans leur tête et dans le noir. Leur tête bascule vers le bas, leur menton rentre dans leur poitrine.
Rana lit un poème devant le public. Je ne la comprends pas. Alors je la regarde, avec mes yeux froissés par le soleil suspendu dans un ciel bleu, sans nuages et sans ombres.
Rana tient son texte contre sa poitrine.
Olivier me dit " Regarde ce qu'elle fait avec son texte ".
Rana joue de la harpe. La harpe c'est son corps. Ses doigts glissent de droite à gauche sur sa robe couleur violette et descendent tout le long de son corps jusqu'à atteindre son nombril. On dirait qu'elle se caresse mais ce n'est pas vulgaire. C'est beau, c'est sensuel, c'est doux.
On nous offre un café. Il fait chaud. J'ai mal aux yeux. C'est le soleil. J'aime pas les lunettes de soleil.
Le soleil, il me crispe de plus en plus les yeux. Il accélère sans doute l'empreinte de mes rides. Il m'invite à les fermer.
Alors je le les ferme et je les mets en veille quelques instants. C'est drôle. Je baisse automatiquement la tête. J'arrive pas à la garder droite, fière. C'est comme si il fallait que je me cache, comme si il fallait que je disparaisse. Je rentre alors à l'intérieur de mon corps, à l'intérieur de moi-même. Je ne regarde plus, je ne me disperse plus, j'écoute et je ressens.
Je repère le son dans l'espace dans lequel je me trouve. C'est agréable d'être dans le noir et d'oublier le monde quelques instants et juste écouter.
Mais ç'est déroutant. Je rallume alors mes yeux, cette télé. Les images se remettent en route. C'est difficile de s'imaginer dans le noir tout le temps. Pourtant il y en a des images et des couleurs dans le noir.
Je me pose souvent la question si je préfèrerais être sourde ou aveugle? Je me dis souvent que je  ne pourrais pas vivre sans musique. Mais l'être humain a une grande capacité d'adaptation...Et je ne sais pas...
Ici les palestiniens s'adaptent à leur identité, imposée. C'est ça qui est terrible...Ils vivent dans le noir finalement. Et nous aussi d'une certaine façon. On est aveugle et sourd. C'est plus facile.

On croise Rana à la fin du festival. Je la sens agressée par le tourbillon sonore du festival. On la sollicite partout.
Elle n'a pas eu l'info que je venais la voir. Elle est déstabilisée et elle m'explique son indisponibilité.
Je lui répond " Misch mouche killa " No problem ! "

On se donne rendez-vous demain, dans le calme à l'école. On nous invite ensuite à manger des petits fours. On boit du soda, ici, comme partout. On se présente et on salue le maire de Doha et le député de l'éducation de Bethlehem. C'est une rencontre express. On s'en va.

Hier j'ai vu Rana. J 'ai pris son témoignage en arabe. Je l'ai enregistrée.
Elle est fragile Rana. La plupart du temps, elle ferme les yeux et parfois son regard se fixe sur moi. C'est déstabilisant .Mais je la regarde et parfois je baisse les yeux. Je suis parfois gênée. Elle s'accroche à son amie, son binôme qui voit. Elle chuchote dans son oreille.
Ici elle ne marche pas seule. Elle n'a pas de canne, ni de chien. Elle n'est pas autonome. Elle hésite, elle me pose des questions sur la création Sin et ensuite me raconte ses activités. Elle me raconte comment elle crée des échanges avec les voyants et non-voyants avec le chant. Pour elle c'est important de se mélanger, de nous faire rentrer à l'intérieur d'eux, de ressentir ce qu'ils ressentent dans le noir et surtout de chanter. Elle me dit qu'il n'y a pas de cours de théâtre dans l'école à Aleya et qu'un atelier de théâtre avec les enfants l'intéresserait.
Je lui demande pourquoi elle chante? Elle me demande ce que je fais là.
Elle me demande de ne pas diffuser les photos, ici. Elle n'a pas envie. Pas à Aida. Ni sur Facebook. Elle ne me connaît pas. Elle ne me voit pas.

Mais elle accepte que l'on utilise sa photo, chez nous, en France pour notre création "Je suis ici! " 
Emilie Pirdas

Bilal

Crédit photo : Olivier Baudoin


Bilal est un garçon maigre de quatorze ans. Il porte des lunettes. Il a sonné un jour chez nous et nous a serré la main. Il a dû nous repéré depuis un moment. Il entre, prend l'espace du salon, nous fait la conversation en anglais. Il est assuré nous sommes interloqués.

Bilal a des copains derrière lui, ils sont plus jeunes et rigolent comme des sacripants.

Au moment où les gosses partent, il reste une boîte à chaussures sur le canapé. Bilal est toujours là.

On dit à Bilal de récupérer « sa » boîte à chaussures. Au moment de lui redonner, le cadeau tombe sur le canapé. En fait de cadeau, c'est une grosse crotte très parfumée. Une blague de gamins.
Bilal n'est pas au courant et est gêné. Il ramasse avec les doigts. Pas eu le temps de lui donner de papier. On ferme la porte.
Il revient sonner. Il nous offre des bonbons, ceux qu'il aime manger et des graines de tournesols. Nous présente ses excuses. On accepte. On ferme la porte. Plus tard, il revient sonner. Ses petits copains sont là pour nous présenter à leur tour des excuses. Bilal nous invite à prendre le thé chez lui demain.

On oublie.

En pleine réunion, Bilal sonne. Le thé, c'est l'heure il nous attend. On refuse on a trop de travail. Il nous dit que sa mère a tout préparé. Merde. Bon ben on y va. Enfin une partie d'entre nous.

En fait, sa mère n'a rien préparé. Elle est malade, a de la fièvre. Le petit sacripant nous a bien eu.
Le thé se prépare. On fait connaissance.

Bilal a une sœur, un petit frère, un grand frère qui est attardé mental.
Sa mère a 35 ans, elle est souriante.
Son père est athlète, il est prof de Karaté, Kung Fu et Taï chi.
Il a participé aux « jeux Olympiques » du monde arabe.
Il a rencontré Mahmoud Darwiche. Il nous montre les photos.

Bilal voudrait faire comme son père quand il sera grand.
Il nous fait une démonstration de karaté-kung fu-nunchaku.
Il est concentré et drôle. Nous combattons amicalement au milieu du salon.
On rit. Il fait une acrobatie qui aurait pu terminer à l'hôpital.

Bilal va l'école de Aïda Camp. Il apprend l'anglais. Il sort ses cahiers, ses dictionnaires.
Bilal s'est fait opérer des yeux à l'âge de quatre ans et il doit refaire une opération à 17 ans.

Bilal est presque aveugle et nous on avait pas vu.
Lisie Philip

Un check-point sur le toit.

Crédit photo : Olivier Baudoin
Alors ...  par où commencer ...
On est allé à Hébron aujourd hui.
On a croisé des soldats israéliens. Au moins 5.  A un moment y ' en a qui  contrôlait un palestinien. Y' a un occidental, un gars qui a pris une photo du soldat.  Le soldat, ça ne lui a pas fait plaisir. De se faire prendre en photo. Alors  il trace une ligne droite vers le type et lui fait comprendre que non. Il le regarde droit dans les yeux.  Une tension se créer alors entre "lui" et " lui", le gars qui l'a pris en photo.  Je sens comme une tension, invisible, un mur, une distance entre le soldat et nous.  On est en face sauf que lui, il a un uzi.
Il essaie de nous faire baisser les yeux. 
 Je ne recule pas. Je le regarde  dans les yeux. Je lui demande si on peut parler. Evidemment qu'il ne veut pas... Il me comprend. Il ne souffle pas un mot .Il bouge la tête de droite à gauche. Aucun son sort de sa bouche. Il est muet comme une carpe. Sauf qu'il ne ressemble pas vraiment à une carpe mais il ressemble plutôt à un robot,  le uzi en bandoulière, presque plus gros que lui, peut- être même plus grand que son âge.
Il refuse le dialogue. Tant pis...  Les soldats, on dirait des robots en colère.
 Celui qui est en face de moi, il porte un masque, un masque de sécurité, un masque d'autorité, un masque d'un enfant qui joue à la guerre. 

 Décidemment ça ne change pas.
On nous invite à voir les colonies sur une terrasse d'un palestinien.  C'est drôle, on  est sur le même toit qu'en 2005. C'est la même maison.
Tous les occidentaux doivent faire la visiter guidée. La maison du palestinien, elle est connue maintenant ... 
" Venez voir la vue sur notre terrasse ".
La guerre, ça fait marcher le commerce et des échanges ... Excusez moi ...
Nous avons donc vu les colonies, les maisons des colons.
Nous avons vu les deux grosses bonbonnes blanches d'eau taguées avec l'étoile de David.  Elles sont un peu sales et poussiéreuses maintenant. Mais elles sont toujours là ... 
 Sur la terrasse, nous avons vu un point de contrôle, en face, un check point sur le toit d'une maison, le même qu'en 2005. Mais ce n'est  pas le même soldat. La maison est debout. Les soldats tournent.
Il y'a 6 mois, des colons ont expulsés des familles pour venir s'installer à Hébron. Ca continue ...

Nous avons ensuite rencontré Lina qui a 29 ans de Hébron France, une association d'échanges culturels.( Les objectifs d'Hébron France de développer la francophonie, promouvoir les échanges et le dialogue interculturel, découvrir le patrimoine et sensibiliser à la réalité du quotidien à Hébron).
Elle est responsable des travaux plastiques ici. Elle n'est pas mariée. Elle nous explique les actions , les activités culturelles, les visites d' Hébron et l' aide sociale aux familles.
Je suis libre " dit  t elle en rigolant.
" Ca fait 9 ans que je travaille ici. J'aime les enfants.  Mais je n'en ai pas.
J'habite dans ma famille au camp. Vous savez nous, on pas de mur à Hébron.  On a des zones à ne pas dépasser. Nous, on ne peut pas se déplacer comme à Jérusalem.  Nous, on ne peut pas circuler.
Il y'a deux jours c'était la pâque juive. On a eu un couvre feu pendant 2 jours. On a pas pu travailler.  Les soldats étaient très tendus. Il y'avait des jeeps pour protéger les colons.
Sarah, toi qui habite aux Etats unis, passe le bonjour à Obama. Et Olivier je ne veux pas me marier avec un français! "

Elle nous explique comment l'association travaille sur les problèmes économiques  et sur la santé dans chaque famille, ici, comment les femmes participent aux activités.
" Les femmes, elles viennent d'elles même à notre association pour qu'on les aide. "
Elle part bientôt avec un groupe d'adolescents, en juillet en France.
Nous la quittons après avoir choisi notre cadeau de " passage " et nous allons nous restaurer.
Nous nous promenons  dans Hébron ...  On marche, on marche.
Fred se fait aspergé de parfum par un vendeur dans la rue, dans le souk ...  Emilien va voir un cordonnier. Fred mange une glace, on prend des photos. Fred et moi on se la joue séance photo. Moi je suis le photographe et lui mon modèle. Il est très investi.

On est allé au tombeau d'Abraham. On est rentré, on a visité. Le tombeau est découpé en deux, un coté pour les palestiniens musulmans et un autre pour les juifs ... Un check point s'y trouve à l'entrée.

A Hébron, on a vu ceux qui habitent en haut et ce qui habitent en bas. Ceux qui habitent en haut écrasent ceux qui habitent en bas, avec leurs poubelles et leurs crasses. Peut- être veulent t'ils les recouvrir pour qu'on ne les distinguent plus, pour les faire disparaître?
Il y' a un filet au dessus de notre nez. C'est sans doute  pour ce qui habitent en bas, pour  ne pas recevoir la merde du haut. 
On a rencontré Lachen, un palestinien dans le vieil Hébron.
Il nous invite chez lui sur sa terrasse. On a été reçu comme des rois. J'avais la sensation d'être une princesse qui se fait servir. Il est touchant. 
Ses gestes sont à la fois fragiles et tendres.
Un thé offert, une cigarette, un sourire, un témoignage.
Il a besoin de parler. Siham traduit. Elle pleure. Moi aussi j'ai envie mais je me retiens. On m'a toujours interdit de pleurer. Mais parfois je m'y autorise.
Et  c'est là que commence alors un flot de parole, un tourbillon de mots, un besoin, une nécessité de raconter son histoire. Il nous parle. Il ne s'arrête plus. Sa langue dans sa bouche tourbillonne.
Il aime les gens, il n'a pas besoin d'argent. Il a été en prison et on lui arraché les dents. Il est resté 21 jours dans une prison près de Ramallah. C'est dur à entendre.
Il nous raconte sa souffrance. Il nous raconte aussi qu'il aime inviter les gens chez lui car ça l'ouvre sur le monde. Il nous raconte qu'il a un ami français qui vient dormir chez lui à Hébron. Il ne le fait pas pour l'argent. Il dit qu'il n'aime pas les jeunes qui se servent de la situation, ceux qui nous attrapent dans la rue, comme ça, pour se faire de l'argent. Il parle de respect. Et qu'il y' a des vols, ici, et que ce n'est pas bien de voler. Il aime la France et le Real Madrid !
Il nous présente sa mère qui tremble de vieillesse. Elle descend les marches, doucement et avance vers nous. Sa troisième jambe est fragile. C'est sa canne. Sa mère, elle est belle. Elle sourit. Elle nous serre la main. Lachen, il est plein d'attention. Il couvre Sarah avec son manteau quand elle a froid et il donne son briquet à Siham. Il est généreux. Il ne compte pas. Il se mettrait torse nu s'il le fallait...
 Il nous sourit et nous raccompagne au taxi...
Emilie Pirdas

samedi 23 avril

Crédit photo : Olivier Baudoin

Midi et début d’après midi 

Rendez vous avec Myriam (une belge installée en Palestine depuis quelques années) pour se rendre à un cours de cuisine Palestinien chez 2 mères d’enfants handicapés à Aida camp. Myriam arrive à 10h56 à la guest house accompagnés de 4 personnes que je prends dans un premier temps pour des anglais, dans un deuxième temps pour des belges et finalement pour ce qu’ils sont vraiment c'est-à-dire des françaises et un italien.
Islam et son amie Saloua nous accueille  avec la réserve et la gentillesse des femmes Palestiniennes. Myriam nous fait tout d’abord un point : son amie Sandra (absente) a crée ce concept de cuisine pour les mères d’enfants handicapés (une vingtaine d’enfants au total dans le camp) pour leur apporter un soutien matériel, modeste, fragile mais réel. Je la regarde un peu méfiant et je trouve chez certains de mes compères une complicité par un simple clin d’œil. Affaire à suivre… Tout le monde s’attelle à la cuisine…enfin nous nous calons sur le mode palestinien très rapidement. Les filles autour de la table en train de fourrer la pâte de blettes, viande et fromage… Mimil en action mais un peu ailleurs, Olivier dans son rôle de reporter-photographe, Andrea l’italien se révèle être aussi reporter-photographe et moi collé à l’enregistreur de Sîn captant l’ambiance sonore. Depuis quelques jours, j’ai découvert cet accessoire de main et j’en suis fou fou fou ! Je prends les ambiances, je me rêve en reporter, en Macha Béranger à écouter les gens et à enregistrer le vent. Une ombre mi-silencieuse qui aurait pour mission de restituer la parole du monde…ouais, ouais, ouais. Je me retrouve à parler (et à enregistrer, bien sûr) Madeleine à la voix intelligente et claire. Je découvre qu’elle vit avec Andrea, sont tous les deux reporters-photographes. Elle me fait un topo sur le statut des bédouins (les nomades Palestiniens) et leur relation à l’état d’Israël. Cela me passionne et Émilien nous rejoint dans la conversation. En gros, les bédouins sont la dernière couche de la société Palestinienne, ils n’ont pas vraiment de préoccupation politique, seraient utilisés par l’armée israélienne et ainsi seraient marginalisés de tous côtés. « Diviser pour mieux régner »  l’état d’Israël est décidément très fort pour semer le chaos…. Je m’essaie à la cuisine mais je tombe sur une pâte réticente à mes doigts pourtant si habiles et cela malgré l’aide de Marina.  
 Le salon est typique : tapis, coussins…modeste mais confortable, avec un rideau fleuri. Nous avons devant nous un festin comme je les aime : généreux mais simple. Une bouchée, un commentaire, une bouchée, un commentaire. Nous finissons par parler de la politique Française et bien sûr des élections présidentielles, chacun y va de ses prédictions cauchemardesques. Je découvre un point commun entre Myriam et ma mère : la manière de dire les u comme les ou… Je la vois comme une femme progressiste et indépendante qui soutient les femmes d’aida camp, elle est assez digne voire sèche mais chez elle on ne note aucune compassion, aucune pitié mal placée mais une réelle solidarité pour ces femmes. Islam et Saloua nous rejoignent après la pâtisserie \coffee arabique \thé à la menthe. Des deux femmes Islam est la plus jeune, la plus lumineuse et nous sommes chez elle. J’ai une vision très inspirée au niveau mode. Du fleuri sur du fleuri. Imprimé sur imprimé. Le hijab se marie très bien avec le rideau, réellement. Mais la réalité du réel nous rattrape et je perds en chemin mes aspirations de haute couture, peu importe… La lumière vient d’Islam à ce moment là et sa dignité est une leçon. C’est un point commun aux Palestiniens : lorsqu’ils nous témoignent de leur inhumain moment d’humiliation et de torture lors de la 2e Intifada (avant et après d’ailleurs aussi), leur récit est effroyable mais leur manière de raconter est pleine de dignité, ils sourient et ont pour souci que leur mémoire soit transmise dans le monde. Islam nous fait le récit de son cauchemar vécu : la torture et l’emprisonnement de son mari, la  violence sur son fils handicapé, la cruauté, la destruction sociale de sa famille, sa maison assiégée et dévastée et différentes anecdotes sur le camp et ses habitants, plus horribles les unes que les autres. Je bouffe ma langue, mes lèvres et je tourne la tête pour ne pas exploser en pleurs. Pas d’impudeur étrangement dans leur récit, le problème viendrait plutôt de nous les auditeurs, de quels questions nous posons, à quel moment, comment, de nos commentaires…mes moments de gène sont toujours venus de cela depuis mon arrivée en Palestine ; si obscénité il y a, elle me semble se produire à cet endroit là. Mais il est vrai que le dosage est sensible.

Début de soirée et soirée

« Zeitoun revient, putain fais pas chier… »
Nous avions décidé de nous rendre à la messe orthodoxe avec l’excitation d’assister au bouquet final : une transe. Dès le matin, les filles s’étaient maquillées et sorti leur chemisier ou robe secrète et moi j’avais trouvé, dans le fond de mon sac de voyage, un nœud papillon qui me donnait la superbe impression d’être un lord écossais déchu. Après avoir perdu  en chemin un compère et raté un taxi collectif, nous nous retrouvons déçus devant l’église chrétienne et catholique. Nous y rentrons un peu benêt avec le pressentiment que la soirée allait être plus morne que prévue. Nous nous  asseyons où nous pouvons et rapidement je me retrouve assis à côté d’un adolescent au duvet noir grâce auquel je pouvais évaluer son âge (13ans et demi). Il me regarde comme si j’étais un ovni avec le regard indescriptible que seuls ont les adolescents de cet âge là, un mélange de béatitude et de curiosité…et encore les mots ne sont pas suffisants. Après avoir imaginé que les gens allaient se jeter sur moi et jeter mon appareil au sol et ainsi augmenter mes dettes, j’essaie de me fondre dans cette foule par une attitude toute retenue. Mais je suis trahi par Emilie qui me demande un kleenex et qui me fait faire un bond de 5 mètres. J’essayais d’imaginer les liens qui unissent les gens entre eux et j’agis comme eux : me lève, m’assoies… Mes amis disparaissent, je reste car je suis un reporter dans l’âme et suis en voie de professionnalisation. On se serre les mains, je ne sais pas ce qui me prend mais je reste accroché à la main de l’adolescent, il est obligé de me signifier par le regard qu’une poignée de main suffit… les curés passent, l’encens embaument l’église, je remarque qu’un homme rentre et sort, il a l’air très important. A chaque sortie, des adolescents le suivent et mon ado duvet a l’air de lui vouer une admiration extrême. Les gens embrassent un tableau porté par les curés, on nous asperge d’eau, je souris bêtement à un curé qui me dévoile en retour un sourire carnassier, là je repense à ce faux débat : si les curés doivent se marier ou pas. Je pense à mes amis qui m’attendent dans le froid mais je suis tintin et personne ne me détournera de ma mission.
La messe se finit enfin : 1h20 quand même mais une sorte de fanfare improbable avec des cornemuses ( ! ) se met à résonner devant l’église. Durant une demi-heure, cette anarchique fanfare composée de jeunes amazones aux caisses claires, un beau et lumineux jeune homme au tambour et « ma » personne importante qui étaient en fait leur prof nous égaye ce moment car nous étions en manque de musique « live ». Je retrouve mon ado duvet   avec sa sœur que l’on prénommera duvette, je leur jette un regard noir car ils se foutent ouvertement de ma gueule ou peut être est ce de mon nœud pap ? 
  Tout se finit très vite et nous nouds rendons au « taboo » pour en vrac manger des pizzas dégueux, rencontrer un serveur palestinien parlant espagnol, écouter de la daube super forte et découvrir les cagoles version palestinienne et tout ça pour une note un peu trop salée. 
Mais sur le retour, nous avons le privilège de découvrir les chauves souris palestinienne, faut les imaginer faisant le double des nôtres et grisâtres, là je me rends compte que ma peur secrète de ces bestioles est un bon leitmotiv pour grimper le mont jusqu’à Aida camp…
Fred munoz
25\04\11



Dans les interstices du désir, au seuil de l’enthousiasme

crédit photo : Emilien Urbach

Ce soir, je montre aux copains les images que j’ai faites aujourd’hui de la manif à Bil’in. Nous y étions, Siham, Marina, Carst et moi. Nous y étions et le reste du groupe n’y été pas. Leurs émotions furent sans doute plus artistiques. Eux, nous ont montré les images d’un « work shop » que les gens d’El Harah avaient demandé à Lisie de diriger.

El Harah, c’est une troupe de théâtre de Beit Jala. Des amis. La troupe s’est constituée quelques mois après la création de « Gilgamesh, le tyran qui ne voulait pas mourir », en 2004. Des amis de longue date. Ça me fait plaisir de voir que nous continuons d’échanger, de nous rencontrer, de nous serrer dans les bras, de compter les uns sur les autres pour de petites choses, pour une discussion, un atelier, une bonnette de micro. Ça me fait plaisir, mais cet après-midi je n’étais pas des leurs. J’étais à Bil’in, parmi les gaz et les blessés.

Hier, non plus, je n’étais pas là lorsque les copains ont rencontré les anciens du camp. Les vieux de 1948. J’étais à Ramallah avec Siham et Marina pour rencontrer Mahmoud de la Fondation El Qatan. Loupés les vieux. Les copains m’ont fait écouter leurs témoignages : Ils sont cinq et préfèrent dire les souvenirs ridés de leur vie avant, plutôt que de raconter - blessure encore lisible dans leur regard bleu pastel brulé par la cataracte - le camp de réfugiés.

Finalement, je me demande si j’y étais il y a dix huit ans. Il y a dix ans, il y a huit ans. Sept ans, cinq ans, l’an dernier. Ici.

Sur la vidéo les jeunes danseurs d’El Harah donnent sans compter. Ils jouent de leur corps avec un plaisir vrai, quelque chose qui pourrait s’apparenter à l’enfance. A Bil’in certaines des grenades tirées par l’armée ont une odeur qui fait vomir, quelque chose qui s’apparente à la mort. Ici, c’est comme ça. Chaque fois. En attendant Siham à l’aéroport la semaine dernière ; elle est restée bloquer deux heures par la sécurité intérieure de l’aéroport à être questionner par rapport à ses origines, les prénoms arabes de ses père, grand-père et arrière grand-père ; je me suis planté dans l’échoppe à journaux. Je le fais souvent en France quand il m’arrive d’attendre quelqu’un à la gare. Je cherche parmi les journaux, tous en hébreux, un canard en français. Je tombe sur « Israël magazine », une revue à destination des israéliens francophones ou de la diaspora juive en France. Un article dit que les enfants palestiniens sont constamment confrontés à de la propagande antisémite. Que tout y participe, l’école, les chants dans les centres de loisirs, le théâtre, la danse, la littérature. C’est incroyable qu’autant de personnes avalent de telles balivernes. Qu’un journaliste peu scrupuleux écrive sans savoir, nous y sommes habitués. Mais qu’une population, dont sont issus tant d’artistes et d’intellectuels primordiaux dans l’histoire contemporaine, se laisse berner par de telles analyses, ça me trou le c… Qu’on me coupe l’oreille, me crève les yeux ou tout ce que vous voudrez si quelqu’un observe de la haine dans les entrainements dansés que les copains ont filmé cet après-midi, du fanatisme dans le regard craquelé des vieux rencontrés hier, de l’inhumanité dans les jets de pierres des adolescents de Bil’in. A moins que je ne sache plus quel est le sens des mots : générosité, indignation, colère.

Les copains écrivent, travaillent. Ils sont ici et moi aussi. Ça va. Mais, Il y a une chose qui me manque. Je n’arrive pas à me la formuler. Chaque fois que j’essaie je tombe à côté. Je ne crois pas que ce soit bien grave mais ça agit sur ma façon d’être ici. Cette chose qui manque doit se trouver dans un interstice entre désir et enthousiasme, une sorte de bémol…

Je cherche :
Le décalage horaire ; ok.
La porte de Damas, le souk dans le quartier arabe ; ok.
Les soldats, les colonies, les amis rencontrés ; ok.
Les tags sur les murs, en arabe, en anglais ; ok.
Les dessins de clefs, les cafetières thermos en métal, le café turcs épicés ; ok.
Le thé à la sauge, les moutons à poils longs ; ok.
Les oliviers centenaires, les pierres grises, les chats, les chiens, les enfants, le voile, le keffieh ; ok.
Les taxis jaunes, les tasses toute-petites, les sacs en plastique noir, les cheveux gominés des jeunes hommes, les sourires édentés ; ok.
Les affiches de martyrs, le son des minarets, les bigophones du marché, la voix du collecteur de vieilles choses ; ok.
Les hommes qui se tiennent par la main ; ok.
Les poussettes qui servent à tout, les femmes qui vendent accroupies ; ok.
Les robinets sans pression, les bidons noirs sur les toits, les dalles de pierre qui couvrent les façades, la musique synthétisée ;  ok.
Les bibelots des rétroviseurs, les chapelets, Le mur, les tentes, les armes, les vieux drapeaux ; ok.
Les narguilés sucrés, les cigarettes vendues à l’unité, le barbier, l’uniforme scolaire, les légumes, gros ; ok.
Les bennes à ordures brulées, les canalisations bouchées…
Bon.
Je suis ici ! Et les copains aussi. Ensemble.
La question ? Ecrire, créer une pièce de théâtre, bientôt mais pas trop.
Je suis ici et j’en suis là.

Je me dis que ça va être long de tout réécouter. Depuis dix ans, tout regarder, se souvenir de tout. Merde. Sans râler, sans pleurer, en cherchant le point de vue décalé…
Je suis ici et j’en suis là. Dans les interstices du désir, au seuil de l’enthousiasme.

Emilien Urbach
22/04/2011